Guillemin explique robespierre biography
La vertu du Robespierre d'Henri Guillemin
1 Paru dans Henri Guillemin, écrivain et historien de la Révolution française, Bats, Utovie, 2015, p. 39-‐48. LA VERTU DU ROBESPIERRE D’HENRI GUILLEMIN Hervé Leuwers Université Lille 3 Résumé : Dans sa biographie consacrée à Robespierre, Henri Guillemin n’évoque qu’incidemment les formes de la vertu publique attendue par « l’Incorruptible », cet amour de la patrie et des lois défini par Montesquieu et nourri d’exemples empruntés à l’Antiquité.
Le traitement rapide de certaines interventions de Robespierre, le peu d’attention accordée à certaines de ses références historiques, ou la place réservée à l’analyse morale et religieuse de sa pensée, donnent à la vertu de Robespierre une coloration spécifique ; l’approcher, c’est souligner certains choix problématiques de l’auteur et mettre au jour une analyse originale de la vertu du conventionnel.
En parlant de la vertu de Robespierre et, tout autant, de la vertu du Robespierre d’Henri Guillemin, cette contribution invite de fait à approcher deux perceptions d’un personnage, celle de Guillemin, et celle de l’auteur de ces lignes... L’exercice n’est pas glib.
D’abord parce que le Robespierre, politique et mystique a en peu d’années pris le rang de « classique » ; au début de mon propre Robespierre1, je l’ai retenu comme l’un des trois travaux ayant marqué l’historiographie du conventionnel au cours du XXe siècle, avec ceux de Gérard Walter et de Norman Hampson.
Ensuite, parce que s’intéresser à l’analyse proposée par Guillemin, lorsqu’on a soi-‐même tenté une biographie du personnage, revient inévitablement à confronter deux études, ou plutôt deux rencontres. Est-‐il utile de rappeler que l’histoire est fille de son temps ?
Ce qui est vrai de l’histoire en général, l’est plus encore de la biographie qui, qu’on le veuille ou non, est un exercice à part : il l’est pour l’auteur, qui ne peut enlever toute subjectivité à son approche ; il l’est aussi pour le lecteur, qui ne lit pas une biographie comme un livre d’histoire ordinaire, tant sa lecture provoque des phénomènes d’identification entre lui et le personnage mis en scène, comme dans le popish.
Se pencher sur la « vertu » reconnue par Henri Guillemin à Robespierre, c’est ainsi confronter deux rencontres avec l’Incorruptible, en même temps que s’interroger sur la part de lui-‐ même que Guillemin a mis dans son livre.
1 . Hervé Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014. 2 Vertus morales et vertu civique Henri Guillemin use peu du mot « vertu » dans sa biographie de Robespierre et, le plus souvent, celui-‐ci se rencontre dans des citations empruntées aux principaux protagonistes de la Révolution.
Si l’historien l’emploie, d’ailleurs, c’est sans le définir précisément ; ou, plutôt, il ne le définit que tardivement, au cœur d’un chapitre consacré au parcours de l’Incorruptible dans les mois qui suivent l’éviction des Girondins aux 31 mai et 2 juin 1793.
Evoquant Jacques Roux louant la « vertu » de Robespierre, Henri Guillemin précise entre parenthèses la signification du mot : « Entendez sa noblesse morale, sa bonne volonté, son désintéressement ». Vers la fin du livre, cette fois, dans le chapitre consacré à « Robespierre et l’Etre suprême », l’auteur, après avoir mentionné que la vertu de Robespierre est une vertu civique, complète la définition par deux citations extraites des discours mêmes du député, qui présentent la vertu comme « L’amour de la patrie, le dévouement magnanime à l’intérêt général », et précise que « l’âme de la république, c’est la vertu ».
Il n’en dit pas davantage2. Par le choix des citations de Robespierre, cependant, Henri Guillemin distingue implicitement deux usages du mot vertu chez le constituant, le jacobin et le conventionnel. Le premier prend la forme d’un singulier, que Guillemin traduit à plusieurs reprises par « esprit civique », « sens civique » ou « vertu civique » ; ici, la notion renvoie à une vertu publique, qui est la défense prioritaire de l’intérêt général3.
Le plus souvent, lorsque le mot vertu prend la marque du pluriel, il désigne cette fois les vertus privées de l’homme, ses qualités individuelles et morales4. C’est dans la manière dont Henri Guillemin évoque la vertu publique de Robespierre que les décalages les plus nets avec les discours du révolutionnaire s’observent, le plus souvent sous forme de silences, qui aident à comprendre la perception que Guillemin se fait de cette notion chez Robespierre.
Le premier silence concerne les références de Robespierre à l’héritage antique. La question n’intéresse pas Guillemin ; il l’évacue d’emblée d’un revers de main, car elle lui paraît sans importance : « S’il nous fatigue par ses perpétuelles références aux événements de l’histoire gréco-‐romaine, écrit-‐il, comme pour l’excuser, sachons que c’est alors, dans le langage politique, une pratique universelle [...]5 ».
Quelques références à l’Antiquité apparaissent pourtant dans sa biographie. Elles n’ont le plus souvent qu’un rôle anecdotique, particulièrement lorsqu’il écrit qu’Eléonore, la fille du 2 .
Henri Guillemin, Robespierre, politique et mystique, Paris, Seuil, 1987, p. 241 et 381. 3 . Ibid., p. 235, 381 et 275 (pour les trois expressions mentionnées). 4 . Ibid., p. 33, 46. 5 . Ibid., p. 34. 3 menuisier Duplay qui héberge Robespierre, se fait appeler Cornélie, comme la mère des Gracques ; Guillemin n’accorde pas plus d’importance au fait que certains comparent Danton à Horatius Coclès (Horatius le borgne), ce héros de la guerre contre les Etrusques6.
De manière exceptionnelle, il laisse certes passer quelques références implicites à la vertu antique ; c’est le cas lorsqu’il explique par elle l’abandon de Fabre d’Eglantine par Danton ou, moins nettement, lorsqu’il écrit que Saint-‐Just rêve d’un bonheur qui serait celui de Sparte et d’Athènes7.
Il ne va cependant guère au-‐delà de ces rares mentions. On ne s’étonnera pas, ainsi, que Guillemin ne cherche pas à examiner les références romaines et grecques de Robespierre, qu’elles renvoient à des héros ou à des anti-‐héros.
Le choix de Guillemin gomme, de fait, une part essentielle de l’héritage intellectuel de Robespierre, au profit d’une lecture inscrite dans le temps des Lumières et les sensibilités religieuses. Ainsi, Guillemin ne s’arrête pas sur les références de Robespierre à nombre de modèles antiques de vertu, dont il prononce pourtant souvent le nom8 : le grec Aristide et son dénuement volontaire ; le romain Lucius Brutus, l’un des fondateurs de la république, qui a accepté de sacrifier ses fils à Rome ; son homonyme Marcus Brutus, l’assassin de César ; ou encore Caton d’Utique, cet autre ennemi de César, qui s’est suicidé pour n’avoir pas réussi à sauver la république...
Par sa formation au collège Louis-‐le-‐Grand, par ses lectures (Plutarque), Robespierre appuie ses raisonnements d’exemples antiques, ou de références à des valeurs dont l’acception prend sens par des références historiques. C’est le cas du couple vertu/génie, que tantôt Robespierre oppose, tantôt il réunit.
A l’occasion d’un débat sur le calendrier républicain, le 24 octobre 1793 (3 brumaire an II), il dit préférer la vertu de Caton à la gloire de César, et obtient que le premier jour sans-‐culottide soit ainsi consacré à la vertu9. Implicitement, la référence est réactivée lorsque Robespierre s’indigne des persécutions des encyclopédistes contre « la vertu et le génie en la personne de Jean-‐Jacques » ; Guillemin évoque cette dénonciation, mais sans la rattacher à l’héritage culturel antique10.
La vertu que le conventionnel révère, pourtant, est bien celle de l’Antiquité, comme il le rappelle avec nostalgie dans la séance du 7 mai 1794 (18 floréal an II), dans son discours sur les fêtes publiques, celui-‐ là même qui invite à instituer la fête de l’Etre suprême : « La postérité honore la vertu de Brutus, mais ne la permet que dans l’histoire ancienne ».
6 . Ibid., p. 31, 266. 7 . Ibid., p. 275, 287. 8 . Voir les décomptes de Cesare Vetter dans : La Felicità è un’idea nuova in Europa, t. I, Trieste, EUT, 2005, p. 137. 9 . Œuvres de Maximilien Robespierre, Paris, SER, rééd. 2011, t. X, p. 158 ; Hervé Leuwers, ridiculous. cit., p.
316. 10 . Henri Guillemin, op. cit., p. 362. 4 Un deuxième silence de Guillemin concerne la définition que donne Robespierre de la vertu publique ou, plutôt, l’origine de cette définition, qu’il faut chercher chez Montesquieu plus que chez Rousseau. La vertu, écrit Robespierre, c’est « l’amour des lois et de la patrie » !
L’expression est intégralement empruntée au chapitre V du livre IV de L’Esprit des lois, dans lequel Montesquieu écrit : « On peut définir cette vertu, l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières ; elles ne sont que cette préférence ».
La définition de ce mot -‐ présenté comme le « principe » du régime républicain -‐ est intégralement reprise dès le discours sur l’effet des peines infamantes, qui vaut à Robespierre un prix du concours académique organisé à Metz (1784) ; on la retrouve, sous des formes variées, dans plusieurs de ses textes révolutionnaires, dont les Lettres [...] à ses commettans (1792) et son discours à la Convention sur les principes de morale politique (5 février 1794 – 17 pluviôse an II)11.
Dans cette dernière intervention, comme je l’ai récemment démontré, la référence à Montesquieu ne se limite d’ailleurs pas à la notion de vertu publique, car celle de « terreur » qui lui est associée n’est pas ce que les historiens appellent « la Terreur » (avec majuscule), mais bien la « crainte » définie par Montesquieu comme le principe du régime despotique12.
On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, qu’Henri Guillemin passe très rapidement sur la vertu que Robespierre attend des représentants du souverain. Les questions de l’éthique du député, de son mandat, de sa longueur et de son possible renouvellement, sont essentiellement évoquées pour le printemps 1791, à l’occasion du débat sur la rééligibilité des constituants, alors qu’elles reviennent à de nombreuses reprises avant et après ces échanges : par crainte de l’exécutif, Robespierre ne plaide-‐ t-‐il pas pour des mandats courts non immédiatement renouvelables dès le débat sur le veto royal, en septembre 1789 ?
Ne retrouve-‐t-‐on pas le député, défendant la même position, dans les discussions d’octobre 1790 sur le statut des juges de la Haute-‐ Cour13 ? Dans les années suivantes, Robespierre demeure attentif à ces questions, même si leurs enjeux se transforment, la crainte de certains représentants oublieux de la vertu publique se substituant à la peur de l’exécutif.
Ainsi, à l’été 1792, Robespierre 11 . Discours couronné par la Société royale des arts et des sciences de Metz, [...] Par M. de Robespierre, avoc.
en parlement, Amsterdam, et se trouve à Paris, Mérigot jeune, 1785, p. 9 ; Œuvres de Maximilien Robespierre, Paris, SER, rééd. 2011 (désormais OMR), t. V, proprietor. 17 (« l’amour de la patrie ». N° 1 des Lettres de Maximilien Robespierre, membre de la Convention nationale de France à ses commettans, octobre 1792) et t.
X, p. 353 (« l’amour de la patrie et de ses lois ». 5 février 1794 – 17 pluviôse an II). 12 . Sur la référence à Montesquieu dans la définition de la vertu et de la terreur, principes du « despotisme de la liberté contre la tyrannie », voir Hervé Leuwers, op.
cit., proprietress. 314-‐318. 13 . OMR, VI, p. 94 (septembre 1789) et 555 (25 octobre 1790). 5 demande l’élection d’une Convention dans laquelle ne pourraient siéger, ni les anciens constituants, ni les anciens législateurs (29 juillet)14 ; quelques mois plus tard, à l’occasion des débats sur l’élaboration de la Constitution de 1793, Robespierre adapte ses positions et propose des représentants élus pour un temps court, l’interdiction stricte du cumul des mandats et la sanction sévère de tout élu qui trahirait ses engagements15.
A un moment de sa biographie, pourtant, lorsqu’il en vient à examiner les relations entre Robespierre et l’Etre suprême, Henri Guillemin rapproche la vertu publique d’une citation du conventionnel évoquant « l’amour de la patrie », mais sans en profiter pour renvoyer à Montesquieu16.
Il est vrai que, comme chez la plupart des révolutionnaires, les références à Montesquieu sont le plus souvent implicites, à la différence de celles faites à Rousseau ; la remarque, cependant, ne peut expliquer les silences d’Henri Guillemin.
Pour les comprendre, il faut convoquer une raison plus profonde, éminemment révélatrice de l’image que l’historien se fait de la vertu civique de Robespierre. Une vertu d’essence religieuse Pour approcher la perception qu’Henri Guillemin se fait de la vertu civique de Robespierre, il nous faut revenir aux deux définitions qu’il en donne dans sa biographie.
La première est un ensemble de deux citations de l’Incorruptible empruntées à Montesquieu, qui évoquent l’amour de la patrie et des lois, considéré comme le « principe » de la république. Quant à la seconde, elle est formulée par l’historien lui-‐même, qui précise que le mot renvoie à « [l]a noblesse morale, [l]a bonne volonté, [le] désintéressement17 ».
Si le mot désintéressement fait explicitement référence à la défense de l’intérêt général, peut-‐on en dire autant de « noblesse morale » ou de « bonne volonté » ? Je ne le crois pas. Ici, la notion de vertu (singulier) et de vertus (pluriel) se rejoignent, au point de fusionner.
Certes, l’idée se défend en partie. Pour Robespierre, la vertu s’appuie sur les vertus ; de plus, Robespierre soutient que la vertu ne peut s’accomplir sans l’espoir en Dieu, et Guillemin le rappelle à plusieurs reprises avec justesse18.
L’homme a été marqué par sa culture provinciale et familiale, imprégnée de religion, et sa sensibilité aux écrits de Rousseau n’a pu que renforcer cet héritage. Henri Guillemin va cependant beaucoup plus loin, au point de définir la vertu de Robespierre par des 14 .
OMR, VIII, p. 419. 15 . OMR, IX, p. 494-‐510 (Convention, 10 mai 1793). 16 . Henri Guillemin, op. cit., p. 381. 17 . Ibid., p. 381, 241. 18 . Ibid., p. 372, 361. 6 valeurs morales empruntées au catholicisme, aux dépens du legs antique dont nous avons rappelé l’importance.
Pour Guillemin, la vertu civique de Robespierre est d’abord d’essence religieuse ; sa conviction ressort des mots mêmes qu’il emploie pour évoquer le lien entre la vertu du conventionnel et l’Etre suprême ; ce dernier, écrit-‐il, l’aide à « suivre le bon chemin19 »...
Jamais, évidemment, Robespierre n’a repris des paroles évangéliques pour expliquer sa démarche. Les mots sont bien ceux d’Henri Guillemin, ceux de l’historien chrétien ; celui-‐ci décrit Robespierre avec sa culture, sa sensibilité, qui accentuent la couleur religieuse de la vertu du conventionnel.
Une telle définition de la vertu publique rejoint l’esprit des principes de Robespierre, tel que le définit Guillemin. Eux aussi sont selon lui d’essence chrétienne20. Non sans raisons, l’historien rapporte ainsi à l’amour de Dieu l’attachement du représentant à la justice et aux opprimés21 ; c’est également par une référence à la divinité, qu’il explique sa sensibilité à ce qu’il appelle la « question sociale », dont il exagère cependant la force, tant le député de la Constituante et le jacobin de la Législative a fait passer les combats politiques avant des engagements que l’on pourrait qualifier de sociaux22.
Il faut se garder, en effet, d’exagérer l’importance de la question sociale pour Robespierre avant 1793. Les mots de Robespierre, c’est vrai, invitent parfois à la surinterprétation. Ainsi, lorsque Guillemin évoque le jacobin s’interrogeant sur « la solution du grand problème social », au printemps 1792, il souligne la place des pauvres dans les combats de Robespierre23.
A reprendre l’article du Défenseur de la constitution dans lequel se trouve l’expression, on s’aperçoit cependant qu’elle s’intègre dans une réflexion politique sur la nature républicaine ou monarchique du régime ; alors qu’enfle la contestation des institutions de 1791 et du roi, Robespierre s’interroge sur un « problème social », qu’il définit comme la question du « bonheur et [du] malheur des nations ».
Loin de vouloir défendre ici les pauvres, il explique que le débat qui divise promoteurs de la République et de la monarchie est vain ; il appelle alors au respect de la Constitution de 1791, conçue comme une arme pour préserver l’acquis et aller plus loin dans la Révolution.
Pour lui, ce n’est pas « dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ». Robespierre parle d’institutions24. 19 . Ibid., p. 361. 20 . Dans la correspondance qu’il entretient avec Catherine Lieutenant, au moment de l’écriture de son Robespierre, Henri Guillemin insiste sur deux traits de caractère qu’il attribue à Robespierre : sa religiosité et son souci de la justice sociale.
Patrick Berthier, « Sur l’élaboration du Robespierre de Guillemin », dans Henri Guillemin et la Révolution française : le moment Robespierre, Bats, Utovie, 2014, p. 22. 21 . Henri Guillemin, op. cit., p. 378. 22 . Ibid., p. 124, 148 ; Hervé Leuwers, op.
cit., p. 176-‐177. 23 . Henri Guillemin, op. cit., p. 108. 24 . OMR, IV, p. 9. 7 Pointer cette insistance de Guillemin à rattacher la vertu aux vertus, ou à souligner la sensibilité sociale de Robespierre, c’est mettre au jour une interprétation des combats de l’Incorruptible dominée par la référence à un idéal d’essence chrétienne.
Sur ce point, Henri Guillemin va si loin, qu’il en arrive à imaginer que la république attendue par Robespierre, à partir de l’été 1792, serait d’une certaine manière le « royaume de Dieu » sur terre...
Alyce barry autobiography sampleL’auteur l’écrit explicitement : « La grande question, pour Maximilien, c’est l’effort pour qu’apparaisse ce monde régénéré qu’il serait prêt, s’il ne craignait les sarcasmes, à nommer, comme il le fait sans doute dans l’intimité des Duplay : le royaume de Dieu [...]25 ».
L’interprétation est hardie, et correspond à l’image que se fait Guillemin du caractère et de la personnalité de Robespierre. Robespierre-‐Christ ou Robespierre-‐Caton ? En abordant le dernier chapitre du Robespierre de Guillemin, l’Incorruptible se transfigure, jusqu’à prendre, à certains moments, une dimension christique, déjà mentionnée par Patrick Rödel26...
Celle-‐ci apparaît dans la manière dont Guillemin analyse la disposition au sacrifice de Robespierre, ainsi que ses références récurrentes à sa propre mort. En lisant Robespierre, il est persuadé que, très tôt, il a cru son sacrifice ultime inévitable.
Pour lui, le jeune député sait depuis le début pourquoi il va mourir ; il sait, que son engagement est tragique, et qu’il se terminera par la mort. Guillemin qualifie la vie de Robespierre de « drame », et précise que l’Incorruptible trouvera la mort en affrontant un dernier obstacle, « comme il n’avait cessé, dès le début, de le prévoir ».
Un peu plus loin, il qualifie une allusion de Robespierre à sa propre mort de « prédiction » ; dans la conclusion de sa biographie, enfin, Guillemin écrit que son personnage « se tient promis à une existence brève27 ». Par une superbe formule, imprégnée de religion, il soutient que la mort est, pour le conventionnel, « attente et désir, l’appétit de l’autre rive28 ».
Son Robespierre se sacrifie, pour le salut de tous, comme le Christ avant lui... L’affirmer ainsi, est-‐ce caricaturer la pensée d’Henri Guillemin ? On peut en douter, lorsqu’on voit l’historien, à maintes reprises, rapprocher le parcours du député et celui du fils de Dieu.
Ne soutient-‐il pas que Robespierre agit selon une « vocation », qu’il « se sent investi d’une mission », qui ne peut être ici que divine ? Ne rapproche-‐t-‐ il pas le désintéressement financier de Robespierre, affirmé par la formule « Je veux 25 .
Henri Guillemin, op. cit., p. 382. 26 . Patrick Rödel, « Les conférences retrouvées d’Henri Guillemin sur la Révolution française », dans Henri Guillemin et la Révolution française..., op. cit., p. 152. 27 . Henri Guillemin, op. cit., p. 148, 220, 407. 28 . Ibid., p. 407. 8 être pauvre pour n’être point malheureux », de sa foi catholique29 ?
Henri Guillemin est plus explicite dans sa conclusion : « Lorsque Maximilien désigne explicitement les riches comme les ennemis (avec les vicieux) de la Révolution, lorsqu’il va jusqu’à dire que c’est pour n’être point lui-‐même malheureux qu’il refuserait la richesse, comment ne pas se souvenir des sévérités du fils de Marie à l’égard de ces riches [...]30 ».
Anwar ali cricketer biography samplesEt que dire de la manière dont Guillemin revient, à plusieurs reprises, sur l’épuisement du conventionnel, sur l’hypothétique maladie qui l’aurait accablé et aurait facilité sa chute ? Ce thème de l’épuisement, si souvent repris -‐ alors que rien ne permet de l’étayer -‐, renforce ici l’image de l’homme qui se donne totalement à sa mission, jusqu’au sacrifice suprême ; à certains moments, ce Robespierre ne ressemble-‐t-‐il pas au Christ accablé par sa solitude face à l’adversité : « Père, pourquoi m’as-‐tu abandonné31 » ?
A partir des mêmes textes, une autre interprétation est possible qui, sans négliger la sensibilité religieuse de Robespierre, rappellerait également la dimension rhétorique de sa disposition au martyre ; n’est-‐elle pas là, aussi, pour prouver le désintéressement de l’orateur, sa vertu publique ?
N’est-‐elle pas un ethos préalable, destiné à renforcer les arguments par l’affirmation de la vertu de celui qui les développe ? L’on pourrait également souligner l’évolution de la sensibilité du XVIIIe siècle, que révèlent les Confessions de Rousseau ; celle-‐ci est marquée par l’émergence du genre autobiographique, et explique en partie cette récurrente tendance de Robespierre à rappeler son parcours, depuis ses engagements d’avocats en faveur de causes célèbres jusqu’à ses combats de député32.
L’on peut ajouter que la fréquente référence de Robespierre à son martyre renvoie également à la fin tragique de Caton d’Utique et de Marcus Brutus, à leurs sacrifices au nom de la vertu publique. Plutôt que ces interprétations par la rhétorique, la sensibilité et l’héritage antique, Henri Guillemin insiste sur le religieux, qui n’est probablement que l’un des éléments explicatifs à retenir ; certes, l’historien se garde souvent de forcer le trait.
Il rejette explicitement les attaques de la Chronique de Paris, qui dénoncent l’image de « sainteté » et les « dévotes » de Robespierre33 ; il n’accorde pas davantage de crédit à ces sans-‐culottes, qui ont assimilé le Christ au premier des leurs.
Pour autant le Robespierre de Guillemin demeure religieux avant tout... * 29 . Ibid., p. 405, 29. 30 . Ibid., p. 408. 31 . Ibid., p.
210, 407 ; Hervé Leuwers, op. cit., p. 346. 32 . Hervé Leuwers, « Robespierre. La tentation de l’autobiographie », dans Michel Biard, Philippe Bourdin, Hervé Leuwers, Yoshiaki Omi (dir.), L’écriture d’une expérience. Révolution, histoire et mémoires de conventionnels, Paris, SER, à paraître.
33 . Henri Guillemin, op. cit., p. 160. 9 Par son Robespierre, politique et mystique, Henri Guillemin a rendu à l’Incorruptible une part de son humanité, en même temps qu’il a justement rappelé l’importance de sa sensibilité chrétienne ; c’est un acquis.
Gardons-‐nous cependant de résumer la vertu de Robespierre à sa dimension spirituelle ; la république à laquelle il aspire ne se nourrit-‐elle pas autant de sa culture religieuse que de sa culture classique ? Pour Robespierre, comme pour Montesquieu, la république a pour principe une vertu, dont les principaux modèles sont ceux de l’Antiquité ; une république d’esprit chrétien, sans doute, mais ouverte à toutes les confessions, parce que ses principes dépassent la diversité des messages religieux ; Dieu est là pour aider à atteindre un idéal de bonheur et de liberté.
A près de trente années de distance, le Robespierre d’Henri Guillemin reste un grand livre, par son écriture, ses thèses, ses apports et son invitation à la réflexion ; il est aussi un livre très force. Bien plus que d’autres biographes, Guillemin écrit avec sa sensibilité et se livre en partie.
Sa biographie du révolutionnaire révèle ses convictions religieuses et sociales ; elle trahit aussi sa culture de spécialiste de Lamartine, pour qui les rares références aux biographes de Robespierre (Hamel, Hampson, Gallo, Walter...) comptent moins que les renvois aux classiques Aulard et Mathiez et, surtout, à ses auteurs-‐références : Lamartine, bien sûr, et Michelet, qu’il malmène avec délectation.
Parce que son Robespierre est profondément religieux, Guillemin dessine d’abord son portrait en s’opposant à celui qu’en a donné Michelet.